« Bordeaux ab chao » – Agile Tour Bordeaux 2017
Est admis le principe hermétique selon lequel l’ordre naît du désordre, la splendeur émerge du bouillonnement brut et primal des idées ; permettez-moi de vous rapporter toute la richesse qui sourd du tracé de cette belle journée de conférence.
Je ne suis pas peu fier d’avoir été convié par l’organisation à venir présenter ma session « Le Lab’Oratoire du Dr. Frankenstein » dans le « in » de cette neuvième édition d’Agile Tour Bordeaux. Il était important pour moi de faire honneur à cette invitation ; pour l’occasion, je me suis peigné et j’ai enfilé mes souliers du dimanche.
Jeudi, 16 heures. Me voici donc sur le tarmac de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry en partance pour Bordeaux Mérignac, excité mais un peu fébrile à l’idée de me retrouver au milieu d’un somptueux plateau de Jean-Pierre Mader de l’agilité.
La ligne de bus Lianes 1 qui relie l’aéroport au centre-ville me paraît vraiment interminable. Heureusement, cette tribulation est récompensée par le premier bonheur de mon aventure guyennaise : l’équipe d’organisation a mis les petits plats dans les grands pour nous bien recevoir. À défaut de voir le Duc, nous sommes hébergés au Mercure Château Chartrons, rien que ça.
Une timide incursion dans le cœur de la belle endormie me mène jusqu’à la place Camille-Jullian où je dîne dans un restaurant sympathique, cependant je décide de rentrer tôt à l’hostellerie pour relire les notes de mon intervention (que je n’ai pas donnée depuis Agile Tour Toulouse 2016). En réalité, je sombre quasi immédiatement dans un sommeil réparateur et néanmoins abyssal.
Une frigide grisaille me happe tandis je remonte le Cours Saint-Louis à l’aube du vendredi. Je presse le pas pour rejoindre l’Epitech, rue du Jardin public. Je ne tarde pas à apercevoir un gracieux gruppetto d’accueil en polos bleus qui me communique, après les salutations d’usage, quelques consignes essentielles, notamment le lieu de la collation. Revigoré par cette perspective je file, que dis-je, je me précipite vers le premier de mes douze cafés – préalable indispensable à toute journée digne de ce nom.
Tandis que je scrute la foule bigarrée dans l’espoir de trouver, avec peu de succès je dois le dire, des faces familières, j’aperçois soudain mon ami Chris Deniaud avec qui j’échange quelques mots chaleureux entre deux pains au chocolat. Je recommande du reste le superbe récit de cette journée par Chris sur son blog.
Vers 9 h, les maîtres de cérémonie battent le rappel pour le bref discours d’ouverture, suivi de la keynote de Sandro Mancuso : the long road. Comment gérer sa carrière dans l’IT ? J’avoue que si la question me laisse pantois de prime abord, l’approche humaniste et inspirante de Sandro finit par avoir raison de mes réticences et je passe un excellent moment, entrouvrant parfois de surprenantes poternes philosophiques.
À l’issue de cette plaisante mise en énergie, je dois me plier – à l’instar de mes camarades rhéteurs de la matinée – à l’exercice du « pitch fire » : chaque intervenant dispose de trente secondes pour haranguer la claque et susciter le plus vif désir, promesse d’un auditoire conséquent. Mon discours a manifestement porté puisque l’amphithéâtre est quasiment plein lorsque je clame, à 11h30, les premières strophes de mon exhibition. Cette affluence inattendue me fournit une énergie considérable et je me jette à corps perdu dans cette représentation.
Une fois rangé mon matériel j’avale rapidement le plateau déjeuner, car je veux être aux premières loges pour assister au one man show de la légende Alistair Cockburn : the Heart of Agile. Avec beaucoup d’humilité et en français – il faut souligner la prouesse – Alistair revient sur le parcours qui est le sien depuis la rédaction du manifeste agile en 2001. Il évoque son passage à travers chacune des étapes du Shu – Ha – Ri, auxquelles il ajoute désormais une nouvelle phase de dépouillement progressif du superflu – entendez par là se mettre en slip – pour atteindre l’état de maîtrise ultime du Kokoro, le cœur en japonais, the Heart of Agile. Je suis profondément touché par la simplicité et la force d’âme qui se dégage de lui.
Difficile de retrouver une concentration après une telle prestation. L’attention, c’est justement ce dont Christian Fauré va nous entretenir. Notre perception du temps, si l’on en croit Husserl, est un cycle continu de rétentions et de protentions. La canalisation des mécanismes attentionnels implique de jongler avec les deux, en suscitant notamment des attentes dosées et répétées. Ce que des réalisateurs virtuoses ont intuité de longue date est aujourd’hui parfaitement théorisé et exploité par certaines industries, entre autres les machines à sous dans les casinos.
L’esprit encore bouillonnant de ces questionnements, je rejoins Alice Barralon, avec qui j’avais co-animé la session « Alice in Agile Land » à Grenoble que nous reprendrons certainement bientôt. Mais pour l’heure c’est de valeur qu’Alice a choisi de nous parler. Comment peut-on adopter une démarche produit compatible avec la frugalité ? En développant moins de fonctionnalités ; celles qui ont le plus de valeur. Encore faut-il s’entendre sur le sens de ce mot, et c’est là tout l’objet de cette présentation espiègle, pleine d’humour, mais imparable.
Échoit enfin à Laurent Bossavit le privilège de clore les festivités par une ultime plénière : l’enfance perpétuelle ou survivre dans une industrie qui croit toujours au Père Noël. Face à la pression suffocante de l’innovation perpétuelle, Laurent fait le choix – et nous invite à faire de même – du recul en adoptant une posture d’historien. Et si ce foisonnement n’était que la résurgence cyclique des mêmes idées, à peine retravaillées ou remises aux goûts de l’époque ? Pourquoi ce refus d’assumer enfin notre passé, et ceux qui le portent, de construire ensemble un véritable progrès qui ne renie pas sa filiation ? À ce prix, pourtant, le logiciel deviendra enfin une industrie, digne même d’avoir son musée. Le veut-on seulement ?
Si les portes de l’Epitech se referment bien vite sur ces entrefaites, les discussions reprennent force et vigueur au Zytho, devant d’impressionnantes orgues de bières artisanales, jusque tard dans la soirée. C’est l’occasion pour moi de remercier les valeureux artisans de l’événement : Nathalie Discazeaux, Christophe Héral, Lionel Secousse, et d’autres encore dont les noms m’échappent à présent mais dont les sourires ont contribué à forger ce magnifique souvenir.